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Charte de la langue française | La survie des magasins d’instruments menacée ?
Les musiciens du dimanche et les virtuoses se heurteront-ils bientôt à des étagères dépouillées dans leur magasin préféré ? D’importants détaillants d’instruments du Québec redoutent le pire si l’Office québécois de la langue française (OQLF) maintient ses exigences en matière d’inscription pour...

La survie des magasins d’instruments menacée ?

PHOTO MARIKA VACHON, LA PRESSE
Pour l’instant, toute la documentation autour des produits musicaux vendus par des multinationales est écrite dans une langue : l’anglais.
Les musiciens du dimanche et les virtuoses se heurteront-ils bientôt à des étagères dépouillées dans leur magasin préféré ? D’importants détaillants d’instruments du Québec redoutent le pire si l’Office québécois de la langue française (OQLF) maintient ses exigences en matière d’inscription pour délivrer ses certificats de francisation.
Publié à 0h42 Mis à jour à 5h00


Charles-Éric Blais-PoulinÉquipe d’enquête, La Presse
Ce qu’il faut savoir
- Les détaillants d’instruments de musique vendent de nombreux produits spécialisés en version anglaise uniquement ;
- Les demandes aux fournisseurs pour que les emballages et les documents soient traduits restent lettre morte ;
- L’OQLF juge que les détaillants ne peuvent pas utiliser ce motif pour être exemptés de l’article 51 de la Charte ;
- La loi 96 prévoit des sanctions pour chaque journée où une infraction est constatée.
Il suffit de se promener cinq minutes dans les allées d’un détaillant d’instruments de musique pour constater l’impasse. « L’inscription sur les produits, sur les emballages, c’est une catastrophe », observe Sébastien Caza, gérant de la succursale Long & McQuade de Vaudreuil-Dorion.

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La plupart du stock vendu chez Long & McQuade comprend des mots en anglais.
Tu as aussi tout ce qui est dans la boîte : les manuels, les papiers de garantie, etc. Puis, il y a toutes les commandes sur les instruments ou les accessoires eux-mêmes.
Sébastien Caza, de Long & McQuade
Le 26 juin dernier, Québec a décidé de remettre à plus tard l’obligation de traduire en français une inscription liée à l’utilisation d’un produit même lorsque celle-ci est « gravée, cuite ou incrustée dans le produit lui-même ». Mais en entrevue à la station 98,5 FM le jour même, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a affirmé vouloir revenir à la charge d’ici le 1er juin 2025.

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Les inscriptions en français sur des emballages de cordes de guitare sont rarissimes.
Exit les boutons « TONE » sur les guitares électriques, les commandes « TREBLE » et « BASS » sur les amplificateurs, les « EFFECT » et « PEAK » sur les consoles de mixage ou encore les « FAST » ou « LEVEL » sur les claviers ? Le cas échéant, « la plupart des magasins du secteur devront fermer leurs portes », s’inquiète Steve Long, président du fabricant et distributeur Yorkville Sound et cofondateur des magasins Long & McQuade. « Espérons que le gouvernement reviendra à la raison. »
L’enjeu des emballages
Au-delà des inscriptions elles-mêmes, la plupart des fournisseurs utilisent des emballages unilingues pour l’ensemble de leur catalogue international. Au rayon des cordes de guitare, par exemple, les D’Addario, Ernie Ball, Elixir et autres produits populaires ne s’affichent qu’en anglais.
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Les inscriptions à même les instruments devraient être touchées par la loi 96, selon l’intention de Québec.
« Il y a des Américains qui ne savent même pas où est le Québec », observe Christian Nantel, président de Nantel Musique, qui a pignon sur rue à Montréal et à Laval. « Est-ce que les entreprises des États-Unis ou du Japon qui distribuent partout dans le monde vont faire des produits en français ? », demande-t-il sans attendre de réponse.
M. Nantel, francophone et francophile, se fait un point d’honneur de ne pas installer dans ses magasins les affiches anglophones fournies par des fabricants américains comme Gibson et Fender. Mais viser les instruments, les accessoires et leurs emballages eux-mêmes, « oublie ça », laisse-t-il tomber. « Avec la mondialisation, ça va être très difficile. »

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La succursale de Nantel Musique à Montréal
Pour l’instant, Long & McQuade et d’autres entreprises de 25 employés ou plus opèrent « sous le parapluie d’un programme de francisation de l’Office québécois de la langue française », explique le gérant de la succursale de Vaudreuil-Dorion, Sébastien Caza. Mais il craint qu’en l’absence de plan B, les ordonnances et les sanctions soient inévitables. En vertu de la loi 96, un commerçant risque autant de constats d’infraction et d’amendes que de jours où il contrevient à la loi.
« Nous travaillons activement avec nos fournisseurs et fabricants afin qu’ils traduisent leurs produits en français, mais le taux de refus et d’infaisabilité avoisine les 100 % », a écrit Long & McQuade dans une lettre envoyée en mars dernier au ministre Roberge et à l’OQLF.

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Que des mots anglais sont inscrits sur cette console.
L’entreprise y note que tous les produits maison de Yorkville Sound, propriété de la famille Long, sont en cours de francisation. Elle souligne en outre avoir consacré énormément d’argent et de ressources à la traduction de sa base de données, de son site web, de milliers de documents ainsi que de logiciels.
Nous opérons les changements sur tout ce dont nous avons le contrôle, mais nous ne devons pas avoir la responsabilité sur nos épaules des compagnies qui rejettent du revers de la main les obligations qui leur incombent.
Extrait de la lettre de Long & McQuade
L’enseigne craint de ne pas pouvoir recevoir son certificat de francisation au terme de son programme, dont l’échéance est prévue le 31 décembre 2024. Le détaillant demande donc une exception à l’article 51 pour certains produits spécialisés.
« Le refus d’un fournisseur de traduire à la source l’emballage de ses produits ne constitue pas un motif autorisant la vente de produits non conformes puisqu’il revient à l’entreprise de veiller à ce que les produits qu’elle offre à la vente sur le marché québécois soient conformes à la Charte », a insisté une directrice de la francisation de l’OQLF dans un courriel de réponse à Long & McQuade, à la fin du mois de juillet dernier.
Aucun fabricant d’instruments étranger, sur la dizaine que nous avons contactés, n’a accepté de répondre à nos questions.
Des solutions qui tardent
« C’est un problème pour les magasins de musique, mais aussi pour bien des détaillants de produits spécialisés ou hyper spécialisés », note Michel Rochette, président de la section Québec du Conseil canadien du commerce de détail. « C’est rare qu’on soit capable de faire modifier, pour quelques joueurs, une chaîne de production destinée à toute la planète. »M. Long, de l’entreprise Yorkville Sound – son catalogue de distribution compte des marques comme Gibson, Epiphone et Samson –, estime que le marché canadien représente environ 3 % du marché mondial, « ce qui fait du Québec un marché de 0,6 % ».
Serait-il possible, donc, d’apposer des autocollants en français sur les termes en anglais ? En plus des défis logistiques, une telle modification risque de compromettre les normes de sécurité de certains appareils électroniques, par exemple par rapport aux risques d’incendie, indique Sébastien Caza, de Long & McQuade.
Si l’OQLF décide d’appliquer l’article 51 avec force, il appartiendra aux détaillants de retirer une grande quantité de produits de leurs tablettes ou de prendre le risque d’accumuler des sanctions pécuniaires au gré des plaintes et des avertissements.
Amazon, grand gagnant ?
« S’il n’y a pas de changements au projet de règlement [sur les inscriptions], les grandes entreprises vont vendre leurs produits dans tous les magasins aux États-Unis, dans le reste du Canada, mais pas au Québec, parce que ce n’est pas un assez gros marché », s’inquiète Patrick Turbide, copropriétaire de Musique Dépôt, à Saint-Jean-sur-Richelieu. « Ici, les fabricants vont passer par Amazon. » Cette crainte est partagée par tous les détaillants avec qui nous avons discuté. « C’est encore les plus petits qui vont payer » tandis que les géants seront laissés tranquilles, craint Christian Nantel, des boutiques du même nom. « Tout ce qui va disparaître des étagères va rester disponible en ligne », abonde Michel Rochette, du Conseil canadien du commerce de détail. « Et on sait bien que des sites sans frontières ne respectent pas les mêmes règles. »
Y'a pu une criss de compagnie qui va vendre du stock ici... A oui, Amazon...