Ils se préoccupent toutefois du bien-être de Nemis/Lactatia. En effet, la jeune drag-queen ne peut pas se produire dans les bars ou dans les salles réservées au public adulte. « On accepte les invitations des évènements familiaux pour tous les âges, comme le spectacle de House of Laureen au Pied-du-Courant. On participe à la représentation de 20 h, mais pas à celle de 22 h. »
En avril dernier, le festival Hot Docs de Toronto a présenté en première le documentaire Drag Kids, auquel Nemis et sa famille ont participé afin de démystifier l’art de la drag pour les enfants — deux réalités parfois difficiles à concilier. Si la drag est un art coloré, flamboyant et extrêmement créatif, nombre de critiques lui reprochent de promouvoir la féminité toxique. Jessica Mélançon explique qu’elle n’a pas permis à Nemis de changer l’allure de son corps pour se vieillir.
« Il ne peut pas mettre de fausse poitrine ou du rembourrage pour avoir des courbes ni se dessiner un faux décolleté. Il doit suivre sa ligne de puberté. S’il veut être un enfant drag, il doit demeurer un enfant. »
Jessica Mélançon, mère de Nemis
Des principes que le garçon accepte sans rechigner. « Je suis d’accord avec mes parents. J’ai quand même hâte au jour où je pourrai mettre de faux seins. Mais c’est très cher. Je ne sais pas si j’en ai besoin. »
Ils doivent aussi composer avec les limites de l’hypersexualisation dans les numéros de drag. « Nemis fait du voguing avec les poses hypersexuées. Mais beaucoup de personnes que j’ai consultées me rappellent que de nombreuses formes de danse peuvent être perçues de manière sexuelle, comme le hip-hop, le ballet ou le contemporain. Dans notre famille, on est très sex positive et body positive. Mais c’est une question complexe. »
Vivre avec l’incompréhension
Autre élément avec lequel il est difficile de composer : les réactions des camarades de classe. « En général, les jeunes à l’école ne comprennent pas la drag, dit Nemis. Ils ne font pas la différence entre ça et vouloir être trans. »
L’équipe-école a aussi du mal à composer avec le plaisir qu’a Nemis à jouer avec les codes de genre, en portant, par exemple, un short rose, un t-shirt à motifs d’arc-en-ciel ou une robe. « Une enseignante m’a écrit un courriel pour m’avertir que mon fils s’était habillé en fille pour aller à l’école, relate sa mère. Elle a même dit qu’il était travesti… »
Elle refuse toutefois d’imposer à Nemis des vêtements de garçon.
« Il porte ce qu’il veut. Et il pourra mettre du maquillage s’il le désire quand il sera au secondaire. Je suis une maman progressive, mais j’ai conservé certaines vieilles règles de mes parents. »
Jessica Mélançon, mère de Nemis
La situation s’envenime parfois quand le garçon est victime d’intimidation. « Nemis est l’enfant différent, celui qui est ouvertement queer. C’est difficile à gérer avec les autres jeunes. S’ils l’intimident ou l’attaquent, Nemis va répliquer encore plus fort. »
Elle décrit une situation où un intimidateur a poussé Nemis dans un trou d’eau. « Nemis a passé la journée à accumuler de la gomme pour la lui coller dans les cheveux. Le garçon a dû se faire couper beaucoup de cheveux… Je lui ai expliqué qu’il devait gérer ça différemment cette année à l’école. »
Diverti par l’anecdote, Nemis ne semble pas s’en faire. « Les réactions des autres m’amusent beaucoup. Ça ne me blesse pas. »
La même désinvolture l’habite sur les réseaux sociaux. Suivie par plus de 28 000 personnes sur Instagram et 44 000 sur Facebook, Lactatia ne reçoit presque jamais de commentaires haineux, contrairement à beaucoup d’autres enfants drags.
« Les messages négatifs sont rares, mais on ne répond jamais aux trolls et aux haters, dit sa mère. On les bloque et on demande aux personnes qui nous suivent de ne leur donner aucune attention. »
Très demandé, Nemis se rendra à Denver le 18 août pour participer à la soirée Dragutante. « C’est l’équivalent du bal des débutantes pour les jeunes filles qui font leur entrée dans le monde, mais pour les drags de moins de 18 ans. »
Dans quelques années, Nemis aimerait beaucoup participer à Drag Race Canada. Mais d’ici là, ses parents le tiennent à distance des compétitions. « Si World of Wonder, la compagnie qui produit RuPaul’s Drag Race, lançait Drag Race Junior, je serais contre, dit Jessica Mélançon. Les jeunes n’ont pas assez d’expérience. Ils vont être épuisés et dans la ligne de mire de beaucoup trop de critiques. Les parents vont être mis les uns contre les autres. Et les possibles contrecoups sur l’internet sont énormes. Ce serait une mauvaise idée. »